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SAUVETAGE À ECAUSSINNES, LES COULISSES D’UNE SAISIE

Les images de la ferme d’Ecaussinnes parviennent à notre équipe en début d’après-midi du vendredi 19 avril. Elles sont immédiatement prises au sérieux et transmises à l’Unité Bien-Être Animal qui se rend sur les lieux seulement deux heures plus tard ! Au vu de l’urgence de la situation, la procédure de saisie est mise en route. Comme le veut la procédure, nous sommes informés du nombre d’animaux à prendre en charge lors de l’appel et devons répondre par le nombre de places disponibles au refuge. En effet, pour chaque intervention, les refuges se répartissent les animaux en fonction de leur capacité. Tous sont sondés et l’opération s’organise. 

Au Rêve d’Aby, nous hébergeons en permanence une vingtaine de vaches et contrairement aux autres animaux que nous accueillons comme les équidés, les chèvres ou moutons, les vaches quittent rarement le refuge pour partir à l’adoption. Cette problématique est donc à prendre en compte, les places pour les vaches sont extrêmement limitées. Nos finances, nos places au refuge, nos capacités humaines à s’occuper d’autant animaux sont analysés et tous ces paramètres auraient dû pousser l’équipe à refuser l’intervention. Toutefois, nous acceptons et nous mettons en route. Cette décision est poussée par notre mission d’offrir une seconde chance à des animaux qui souffrent. Dans ce cadre, nous nous limitons à prendre en charge deux vaches qui rejoindront notre troupeau qui passera à 24 bovins. Un challenge de plus pour notre équipe. 

Sur 10 refuges partenaires, 4 ont répondu présents et 6 places sont garanties pour les vaches d’Ecaussinnes. Malheureusement sur place, un troupeau de trente animaux attend d’être pris en charge. L’état général de tous les bovins étant catastrophique, les agents de l’Unité Bien-Être Animal répartissent les vaches dans les refuges pour éviter aux associations un choix épouvantable. Nous le savons en arrivant sur place, les vaches qui ne rejoindront pas les refuges seront emmenées et placées chez un marchand, leur sort n’est pas entre nos mains, c’est la procédure. Quand les refuges ne peuvent pas absorber tous les animaux sur place, une solution alternative peut être proposée par le propriétaire. Cette procédure, nous ne la choisissons pas et nous ne pouvons la discuter, elle nous déchire le coeur, mais nous devons l’accepter pour rentrer au refuge avec deux de ces victimes. 

Les images de cette saisie marqueront notre équipe pour très longtemps. Le regard de certaines vaches restera dans les pensées de nos bénévoles, ces vaches à qui nous nous sommes excusés maintes fois en chargeant Apolline et Églantine dans notre véhicule. En croisant les membres des refuges sur place, nous comprenons que tous ont la gorge nouée. Les sourires que nous nous échangeons lors d’intervention en commun ont disparu des visages, les yeux sont humides et les poings sont serrés. L’émotion est palpable, mais il est de notre devoir de rester concentrés pour évacuer au plus vite les animaux qui rejoindront les refuges en toute sécurité. 

Dans ce troupeau, nous avons croisé une vache qui léchait son veau décédé, un taureau handicapé par une hernie de la taille d’un ballon, un veau qui cherchait à se blottir contre le corps sans vie de sa mère et nous avons photographié ces instants. Photographier pour dénoncer, pour vous partager notre expérience, pour sensibiliser. C’est également notre travail. Une partie de notre travail qui nous oblige à vivre et revivre cette expérience. 

Sur place, nous croisons également deux membres de la famille du fermier qui déambulent dans le hangar en minimisant la situation. Notre équipe doit rester impassible et ne pas répondre aux remarques pour s’assurer de bien repartir avec Églantine et Apolline. Que répondre à « Elles ne sont pas toutes en si mauvais état », « le vétérinaire est pourtant passé et tout va bien » ou à « d’habitude elles vont bien » ? Entendu également sur place « on le facturera au refuge ce foin ! » lorsque l’équipe d’Animaux en Péril place du foin trouvé hors du hangar dans leur véhicule dans le but d’y attirer la vache qu’ils étaient en train de sortir du lisier.

Vous l’aurez compris, nous sommes fiers de notre équipe qui a réussi à gérer une situation émotionnelle extrêmement complexe et conduire en sécurité au refuge deux de ces martyrs. Nous ne pouvons donc accepter de recevoir des commentaires haineux à l’encontre de nos bénévoles. Le sort des autres bovins n’était pas entre les mains des refuges, et nous sommes les premiers attristés de cette situation. 

24h plus tard, le sort s’acharne. 

Au lendemain de l’intervention, une nouvelle épreuve touche les membres du Rêve d’Aby. Samedi, 17h00, Apolline respire fort et ne sait plus se relever. La vétérinaire du refuge est appelée en urgence et notre équipe pense déjà au pire. La panique nous gagne, nous ne sommes pas prêts à la perdre si vite.

Quelques instants après l’appel, nos bénévoles présents aux côtés d’Apolline remarquent des contractions et le diagnostic tombe : Apolline est en train donner naissance à un petit veau. L’état de cachexie (maigreur extrême) de notre protégée rend la situation extrêmement complexe et surtout, complètement inattendue. Apolline n’a pas la force pour un vêlage et son petit veau, qui semble malheureusement mort, n’est pas tourné de la bonne façon.

19h00, nous devons nous résigner à procéder à une césarienne. La situation est sous le contrôle de Pauline, notre vétérinaire en qui nous avons une confiance aveugle. Près de Pauline, plusieurs de nos bénévoles assistent et apportent leur aide. Encore une fois, notre équipe se montre soudée et concernée par la vie d’une vache que nous connaissons pourtant depuis à peine 24h00. 

19h30, une petite fille est née. Notre équipe se scinde alors en deux, l’une doit apporter les premiers soins au veau tandis que l’autre continue d’assister notre vétérinaire pour recoudre Apolline. Nous le savons, les césariennes sont risquées et la vie d’Apolline est en jeu. 

20h, nous pouvons enfin présenter le nouveau-né à sa maman. Apolline est à bout de force, elle n’a aucune ressource pour s’occuper de sa fille, et nous devons la mettre sous perfusion. La nuit sera cruciale pour sa survie, mais notre équipe restera à ses côtés et alternera des tours de garde pour s’occuper de la petite que nous avons tout naturellement baptisée Pauline, en l'honneur de notre vétérinaire tant dévouée.

Toutes les deux heures, une bénévole et un soigneur se rendent au chevet des vaches pour biberonner Pauline, et surveiller les paramètres d’Apolline. Nous voyons de la vie dans le regard d’Apolline, mais nous devons l’aider pour se redresser ou pour s’hydrater.

Dimanche 21, notre vétérinaire revient dans la matinée ausculter Apolline et sa fille. Apolline toujours couchée, peine à se maintenir. Notre vétérinaire lui administre une nouvelle dose d’anti-inflammatoire, et nous essayons doucement de la réalimenter. Il est 13h lorsque notre équipe prend une pause. Apolline profitera de ce moment pour s’en aller, seule aux côtés de sa fille Pauline.

« 2723 », c’était son numéro. Son appellation pendant les 4 années qu’elle a passé au sein de cette ferme. Au Rêve d’Aby, cette vache a porté un prénom, celui d’Apolline. Elle n’aura eu la chance de le porter que le temps de 48h, mais dans nos coeurs il résonnera pour toujours. Apolline a compté pour nous, et nous lui avons fait deux promesses, celle de protéger sa fille, et celle de continuer à nous battre pour tous les animaux qui ont besoin de nous.

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